Selon l’ONU, 1 femme sur 3 est victime de violences masculines dans le monde. 1 sur 3. Lorsque nous venons au monde, nous les femmes, sommes face à un risque immense de subir des violences au cours de notre vie. C’est vrai des femmes cis comme des femmes trans. Le Conseil de l’Europe rappelait en 2002 qu’en Europe, « pour les femmes de 16 à 44 ans, la violence domestique serait la principale cause de décès et d’invalidité, avant le cancer, les accidents de la route et même la guerre ».
La réalité statistique est donc assez sévère : côtoyer un homme, pour une femme, augmente le risque d’être victime de violences. La réaction complètement disproportionnée à la prise de parole d’Alice Coffin, militante féministe et autrice du « Génie lesbien », dans une émission de télévision lorsqu’elle disait qu’une femme vivant avec un homme avait plus de risque d’être victime de violences qu’une femme vivant avec une femme m’a sidérée.
Alice Coffin énonçait simplement une réalité. Ceci n’est en effet pas une opinion ni une vue de l’esprit : c’est la réalité. La réalité dite et redite par les enquêtes, les sondages, par les centaines de milliers de témoignages qui se déversent sur les réseaux sociaux depuis des années. Celle d’un monde dans lequel des hommes violentent des femmes parce qu’elles sont femmes. Celle d’un monde qui nous place de manière quasi systématique dans une position d’infériorité. Celle d’un monde qui nous invisibilise, nous oublie, nous écrase. Ce qui est fascinant, c’est que ce soit plutôt la dénonciation des violences masculines que la réalité de ces violences qui dérange.
Je suis intimement convaincue que cet argument des féministes qui seraient « anti-mecs » en dit en effet beaucoup plus sur la peur que déclenchent les féministes que sur les féministes elles-mêmes. Le féminisme dérange. Pourquoi ? Parce qu’il trace un horizon dans lequel les rapports entre les femmes et les hommes auront radicalement changé, ne seront plus asymétriques mais à égalité. Je pense que beaucoup – beaucoup – de gens se rendent compte du changement profond que cela va amener dans nos sociétés. Où que l’on regarde, les femmes et les hommes sont inégaux. Mettre l’égalité partout va tout secouer. Et cela ne se fera pas facilement.
Un peu comme si demain, vous disiez aux 10% les plus riches qu’ils doivent donner un bout de leur fortune aux 50% les plus pauvres. Ça ne va pas se faire gentiment et simplement. « Bien sûr, allez-y ». Non. C’est pareil sur l’égalité. « Bien sûr, allez-y, prenez la place, le pouvoir, ne vous laissez pas marcher dessus et laissez-nous des tâches domestiques ». Non.
Je suis désolée de le dire comme ça mais si vous cherchez à changer la société sans que personne ne soit fâché ou en colère, ça ne marchera pas. Notre combat va changer les rapports de force. Ça va résister, c’est évident.
#NotAllMen mais beaucoup quand même
À plusieurs reprises, dans mon engagement féministe, j’ai pris l’initiative d’écrire des tribunes que je proposais ensuite largement à signatures. Parfois, il n’y avait que des femmes parmi les signataires, parfois, on choisissait la mixité. Et dans les deux cas, il se passait toujours la même chose.
Lorsqu’il n’y avait que des femmes signataires, on nous demandait systématiquement pourquoi. Comme si les femmes, même nombreuses, ne se suffisaient pas à elles-mêmes. Alors que rarement un homme lançant une tribune signée exclusivement par d’autres hommes ne s’entendra poser la question : « Pourquoi que des hommes parmi les signataires ? » C’est comme si pour être considérées comme légitimes, les femmes devaient toujours être accompagnées (chaperonnées, on pourrait dire) par des hommes.
Le plus étonnant n’était même pas cette question, à laquelle je dois dire on finit par s’habituer. Le plus étonnant, c’est ce qu’il se passe lorsque la tribune est mixte. Chaque fois, sans une exception, dans les heures ou les jours qui suivent la publication, je reçois un message d’une personne victime de violences me disant : « Je suis choquée de voir tel écrivain signer une tribune féministe alors qu’il y a deux ans, il m’a agressée sexuellement dans un ascenseur » ou alors : « Caroline, je voulais te dire que tel philosophe, qui a signé ta tribune, envoie des photos de son sexe sur Facebook à des jeunes femmes ».
Depuis, j’évite de proposer des tribunes mixtes. Je recommencerai le jour où les hommes qui violentent des femmes n’essayent pas de s’incruster dans nos textes féministes.
Être un homme féministe ?
Que signifie être un homme féministe ? Je dirai que cela signifie prendre conscience que l’organisation de notre société fait exister une multiplicité de petits et grands privilèges dont on bénéficie. Et que la première chose à faire est d’essayer au maximum d’éviter d’user ou d’abuser de cette situation. Souvent, notamment lorsqu’on aborde la question du sexisme ou des violences, cela veut dire de commencer par se taire et écouter. Laisser les femmes de son entourage raconter la vie sous sexisme, la vie sous violences. Et soutenir, du mieux qu’on peut. En prenant sa part, à égalité, des tâches du quotidien si on vit en colocation ou en couple avec une ou des femmes. En relayant la parole des femmes qui s’expriment. En veillant à ne pas reproduire de stéréotypes et en essayant de convaincre son entourage de faire pareil.
Est-ce agréable ? Non, sans doute pas. De la même manière, ce n’est pas agréable en tant que femme blanche hétérosexuelle de ne pas être invitée à une réunion sur le racisme ou sur la lesbophobie ouverte uniquement aux personnes victimes de ces discriminations. Mais on s’en remet. Parce que plus que notre confort personnel, ce qui compte, c’est la possibilité pour les personnes concernées par des violences de se retrouver pour militer et échanger sans la pression de devoir convaincre de l’utilité de la lutte.
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